La relation entre psychopathologie et comportement criminel soulève depuis longtemps des interrogations majeures dans les domaines de la psychiatrie, de la criminologie et de la justice. À chaque fois qu’un crime particulièrement violent ou incompréhensible survient, la question de la santé mentale du suspect est immédiatement soulevée, comme si la présence d’un trouble psychique pouvait, à elle seule, expliquer le passage à l’acte. Cette tendance à établir une causalité directe entre psychopathologie et criminalité mérite toutefois d’être examinée avec rigueur. Sommes-nous réellement face à une cause directe, ou la psychopathologie n’est-elle qu’un facteur parmi d’autres dans un enchevêtrement complexe de variables ?
La psychopathologie désigne l’étude des troubles mentaux dans leurs aspects psychiques, comportementaux et émotionnels. Certains de ces troubles, notamment les troubles psychotiques sévères ou les troubles de la personnalité antisociale, sont parfois associés à une perte de contrôle, une perception altérée de la réalité, ou un mépris des normes sociales. Ces manifestations peuvent, dans certains cas spécifiques, favoriser des conduites transgressives. Néanmoins, il serait réducteur — et scientifiquement infondé — de considérer que la psychopathologie constitue en soi la cause première de comportements criminels.
Les recherches en criminologie et en psychiatrie convergent sur un point fondamental : la majorité des personnes souffrant de troubles mentaux ne sont pas violentes, ni enclines à enfreindre la loi. En fait, elles sont statistiquement bien plus exposées à être victimes de violences que d’en être les auteurs. Par ailleurs, de nombreux criminels ne présentent aucun trouble psychique diagnostiquable. La criminalité résulte en réalité de l’interaction de multiples facteurs : environnement familial, vécu traumatique, niveau d’éducation, conditions socio-économiques, exposition à la violence, usage de substances, et parfois, vulnérabilité psychique.
La psychopathologie peut certes jouer un rôle dans certains passages à l’acte, mais ce rôle est souvent indirect. Elle peut affecter la capacité d’un individu à évaluer les conséquences de ses actes, à gérer ses impulsions ou à établir un lien logique entre ses pensées et ses actions. Toutefois, pour qu’un trouble psychique aboutisse à un comportement criminel, il faut généralement qu’il s’inscrive dans un contexte aggravant, comme l’isolement, le manque de soins, une rupture du suivi thérapeutique ou la marginalisation sociale. Ce n’est donc pas le trouble en lui-même qui génère l’acte, mais plutôt la manière dont il s’inscrit dans une dynamique de désintégration personnelle et sociale.
Il existe aussi un risque de surinterprétation des liens entre psychopathologie et criminalité. Le fait qu’un individu reconnu coupable d’un crime souffre d’un trouble psychique ne prouve pas que ce trouble est la cause de son acte. Cette confusion est d’autant plus fréquente dans les discours médiatiques, qui ont tendance à chercher des explications spectaculaires à des faits souvent complexes. En réalité, la causalité directe est rare. Ce que l’on observe davantage, ce sont des cooccurrences, c’est-à-dire la présence conjointe d’un trouble psychique et d’un comportement déviant, sans qu’un lien de cause à effet puisse être clairement établi.
Sur le plan judiciaire, cette distinction est essentielle. Dans les cas où la responsabilité pénale est engagée, il faut déterminer si le trouble mental a altéré ou aboli le discernement de l’auteur au moment des faits. Cette évaluation ne relève pas d’une simple constatation de diagnostic, mais d’une analyse fine du lien entre la psychopathologie et l’acte lui-même. Il existe donc une nuance cruciale entre le fait d’être porteur d’un trouble et celui d’avoir commis un acte sous l’influence directe de ce trouble.
Il est également important d’aborder la question de l’éthique. Faire de la psychopathologie une cause unique du crime revient à renforcer des stéréotypes néfastes et à alimenter la peur envers les personnes souffrant de troubles mentaux. Cette stigmatisation sociale a des effets délétères : elle marginalise les individus, freine leur accès aux soins et aggrave souvent leur état psychique. En associant trop facilement maladie mentale et criminalité, on oublie que la plupart des personnes concernées ne demandent qu’à être prises en charge, comprises, et accompagnées dans un parcours de soin digne et respectueux.
En conclusion, la psychopathologie ne peut être considérée comme une cause unique ou automatique du comportement criminel. Elle constitue parfois un facteur de vulnérabilité, un élément de fragilité qui, dans certaines circonstances extrêmes, peut contribuer à un passage à l’acte. Mais cette contribution ne saurait être isolée du contexte global dans lequel vit l’individu. Comprendre la criminalité exige de dépasser les explications simplistes, pour embrasser une vision multidimensionnelle, à la croisée du social, du psychique, de l’éducatif et du judiciaire.